Une personne en situation irrégulière dénonçant une infraction ne doit pas risquer l’expulsion
Pays : CANADA
Institution : Protecteur du citoyen du Québec
Domaine d’intervention : Jeunes en difficultés
Explication du problème
La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a été saisie, le 10 mai 2010, par M. Jean-Pierre SUEUR, sénateur du Loiret, des circonstances de l’interpellation de Mlle N.L., le 19 février 2010, à Château-Renard (45), et de sa reconduite à la frontière vers le Maroc, le 20 février 2010.
Par la loi organique no 2011-333 du 29 mars 2011, le Défenseur des droits a succédé à la Commission nationale de déontologie de la sécurité le 1ermai 2011. Conformément à l’article 44 de la loi précitée, la saisine de la Commission du 10 mai 2010 se poursuit devant le Défenseur des droits.
Le Défenseur des droits a pris connaissance des procédures judiciaire et administrative diligentées à l’égard de Mlle N.L., des différents témoignages concernant la mise en oeuvre de la reconduite à la frontière, ainsi que du rapport rédigé par M. C.L., gardien de la paix en fonction au commissariat de Montargis .
Le Défenseur des droits a également pris connaissance des auditions réalisées par les membres de la CNDS : audition de Mlle N.L., de M. L.P., adjudant-chef, en fonction à la Brigade territoriale de proximité de Bourgueil, de Mme P.L., gendarme, en fonction à la brigade de gendarmerie de Château Renard, et de Mme Ch. L., adjudant, Cellule ESI – Peloton d’autoroute d’Orléans.
Question 2
Explication du problème
Mlle N.L., ressortissante marocaine âgée de 19 ans, s’est vu notifier une obligation de quitter le territoire français, le 24 novembre 20091. Elle est cependant restée sur le territoire.
Le 16 février 2010, après avoir subi des violences physiques de la part de son frère qui l’hébergeait depuis 2005, elle s’est réfugiée chez des amis qui lui ont conseillé de déposer plainte. Au préalable, elle a été examinée par un médecin qui a conclu à une durée d’incapacité totale de travail de huit jours.
Le 18 février 2010, Mlle N.L., encouragée par ses amis, s’est rendue au commissariat de Montargis, où elle a finalement laissé une simple main courante, craignant les répercussions d’une plainte pour son frère.
Le soir même, afin de l’aider à récupérer ses affaires, ses amis indiquent avoir pris l’initiative de téléphoner aux gendarmes pour demander leur assistance, tout en obtenant un engagement oral que la situation irrégulière de Mlle N.L. ne lui porterait pas préjudice.
Le lendemain, le 19 février 2010, Mlle N.L. accompagnée de plusieurs amis, s’est donc rendue à la gendarmerie de Château Renard où elle a expliqué les difficultés qu’elle rencontrait avec son frère. Sur proposition des militaires, Mlle N.L. s’est, dans un premier temps, présentée avec ses amis au domicile de son frère, qui les a menacés. Dans un second temps, les militaires ont accompagné la jeune femme qui a finalement pu récupérer ses affaires. Interrogée sur son souhait de déposer plainte, Mlle N.L. était toujours hésitante.
Si les versions de la réclamante, des témoins et des militaires divergent sur la façon dont la situation irrégulière de Mlle N.L. a été découverte et sur les engagements oraux reçus par les uns et pris par les autres, il est en revanche établi que Mlle N.L. s’est de nouveau présentée, le même jour, à la brigade de gendarmerie, sur la base d’une convocation dont elle indique ne pas avoir compris le sens. Cette convocation lui a été remise par l’adjudant-chef M. L.P. à l’issue de leur déplacement chez son frère.
Vers 14 heures, l’adjudant-chef M. L.P. a contacté le bureau des étrangers de la préfecture, qui lui a indiqué que la mesure de reconduite à la frontière pouvait être exécutée, en l’absence de recours devant le tribunal administratif. Il a décidé qu’il placerait la jeune fille en garde à vue et a contacté l’adjudant Mme Ch. L., responsable de la cellule Etrangers en Situation Irrégulière (ESI), en charge de la procédure administrative de reconduite à la frontière, afin qu’elle se rende à la brigade.
Mlle N.L. s’est présentée à la brigade de gendarmerie de Château Renard, à 14h30, accompagnée de ses amis. Un des militaires de la gendarmerie a dit à ceux-ci que Mlle N.L. partait avec l’adjudant-chef pour déposer plainte, mais, en réalité, elle a été immédiatement placée en garde à vue pour séjour irrégulier sur le territoire français. L’adjudant Mme Ch. L. est arrivée sur les lieux vers 17 heures.
A 17h30, les amis de Mlle N.L. sont revenus et l’adjudant-chef leur a expliqué le motif de son placement en garde à vue. Les militaires de la gendarmerie leur ont demandé de lui amener des cigarettes et un médicament et les ont autorisés à apporter des magazines et de la nourriture. La mère d’une des amies de Mlle N.L. a proposé de l’accueillir chez elle, et de s’en porter garante, ce à quoi l’adjudant-chef aurait répondu en l’informant de l’existence de l’infraction d’aide au séjour irrégulier sur le territoire français.
Après avoir été auditionnée sur sa situation administrative, Mlle N.L. a été autorisée, vers 19 heures 30, à sortir dans la cour fumer une cigarette accompagnée de ses amis, encadrée par deux gendarmes, puis à revoir ses amis vers 21 heures, avant qu’elle ne parte dormir dans un autre local. Les gendarmes ont précisé à ses amis qu’elle irait peut-être ensuite dans un centre de rétention administrative, où ils pourraient la visiter.
L’adjudant Mme Ch. L. est restée à la brigade en attendant les décisions préfectorales de placement en rétention et mise à exécution de la reconduite. Celles-ci, arrivées peu avant minuit, ont fixé l’exécution de la reconduite vers le Maroc au lendemain matin. L’adjudant-chef M. L.P. a récupéré les documents nécessaires à la reconduite.
Le parquet, contacté à la demande de Mme Ch. L., a demandé à l’adjudant-chef M. L.P. de laisser Mlle N.L. en garde à vue « jusqu’au placement en rétention administrative », ces instructions étant mentionnées dans la procédure.
A 4 heures du matin, l’adjudant-chef M. L.P. a notifié à Mlle N.L. la levée de sa garde à vue et l’arrêté de placement en rétention administrative, ainsi que les droits afférents à cette mesure. Il l’a informée qu’elle allait être conduite à l’aéroport, lui a prêté son téléphone et a personnellement informé l’une de ses amies de l’heure du vol. Quelques heures plus tard, elle quittait le territoire pour le Maroc.
Suite à une forte mobilisation autour de Mlle N.L., celle-ci est revenue en France le 13 mars 2010, munie d’un visa long séjour, suite à un ordre donné par le Président de la République, puis a bénéficié d’un titre de séjour « vie privée et familiale », le 15 juin 2010.
Sur l’opportunité d’interpeller Mlle N.L. le 19 février 2010 pour séjour irrégulier sur le territoire fraisnça
Immédiatement après l’exécution de la mission d’assistance de Mlle N.L. par les gendarmes au domicile du frère, l’adjudant-chef M. L.P. a remis à celle-ci une convocation à se présenter dans l’après-midi à la brigade de gendarmerie. Si Mlle N.L. pensait être convoquée pour évoquer la question de son dépôt de plainte, la convocation concernait en réalité l’infraction de séjour irrégulier sur le territoire français, et visait à l’interpeller si elle confirmait qu’elle était en infraction, puis à mettre en oeuvre à bref délai une procédure de reconduite à la frontière.
Mlle N.L. n’était pas entièrement décidée sur la question de son dépôt de plainte lorsqu’elle est allée récupérer ses affaires chez son frère, à la fois parce qu’elle craignait les conséquences d’une plainte pour lui et parce qu’elle avait peur de lui.
Cette question n’a pas été spécifiquement abordée lors de son audition l’après-midi, puisque celle-ci avait pour objectif de déterminer si elle était en situation irrégulière sur le territoire français et donc susceptible d’être reconduite à la frontière.
En effet, le procès-verbal de son audition mentionne uniquement le fait que le matin, elle n’avait pas souhaité déposer plainte contre son frère. Dès lors, son interpellation et sa reconduite l’ont privée de la possibilité d’envisager sereinement l’opportunité de déposer plainte contre son frère.
Mlle N.L. a été interpellée et placée en garde à vue, puis s’est vu signifier la mise à exécution de sa reconduite vers le Maroc, quelques heures seulement après avoir récupéré ses affaires, et trois jours après avoir subi des violences graves et s’être enfuie de son domicile.
Il est regrettable que la situation de détresse dans laquelle se trouvait Mlle N.L., profondément marquée physiquement et moralement par les violences qu’elle avait subies, n’ait pas suffisamment été prise en compte. Toutefois, l’adjudant-chef M. L.P. a appliqué strictement la loi et a eu l’aval de la préfecture avant de procéder à l’interpellation de Mlle N.L. en vue de sa reconduite à la frontière.
En conséquence, si aucun manquement à la déontologie ne peut être relevé à l’encontre de l’adjudant-chef M. L.P., on ne peut que déplorer que les textes en vigueur permettent la mise en œuvre immédiate des reconduites à la frontière des personnes victimes d’infractions ayant demandé à bénéficier de l’assistance de la force publique.
Sur la garde à vue
La garde à vue de Mlle N.L. aurait pu être levée dès que l’infraction de séjour irrégulier sur le territoire français a été établie, à l’issue de son audition, vers 19 heures, et dans l’attente de la décision préfectorale de reconduite à la frontière.
Aucune « nécessité de l’enquête », au sens de l’article 63 du code de procédure pénale alors en vigueur, ne pouvait plus être invoquée, non plus que le risque de disparition des preuves, l’adjudant-chef M. L.P. étant en possession du passeport de la jeune fille, ou encore le risque de fuite, la mère de l’une de ses amis proposant de l’héberger et de se porter garante d’elle.
Dès que la garde à vue ne se justifiait plus, à partir de 19 heures, Mlle N.L. devait, soit être libérée (et éventuellement hébergée pour la nuit chez la mère de son amie), soit faire l’objet d’un placement en rétention administrative.
Cependant, la décision de laisser Mlle N.L. en garde à vue pour la nuit ayant été prise par le procureur de la République, dans l’attente de la décision préfectorale de placement en rétention administrative, aucun manquement à la déontologie ne saurait être reproché à l’adjudant-chef M. L.P.
Enfin, il convient de souligner que les militaires de la gendarmerie de Château-Renard ont fait preuve de discernement dans le déroulement de la garde à vue de Mlle N.L., en lui permettant, notamment, de voir ses amis à deux reprises et de lui amener des magazines et un repas, et en réduisant les mesures de sécurité à leur strict minimum.
Intervention
Le Défenseur des droits constate que le fait de mettre en œuvre immédiatement une procédure de reconduite à la frontière à l’encontre d’une personne, venue dénoncer aux forces de l’ordre une infraction dont elle a été victime, conduit à dissuader les victimes d’infractions dépourvues de titre de séjour de déposer plainte et de faire sanctionner les auteurs.
Résultats et suivi
Le Défenseur des droits recommande la diffusion d’un texte quelle qu’en soit la forme aux officiers de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale qui leur rappelle les exigences de loyauté préconisées par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation en matière d’interpellation des étrangers en situation irrégulière.