– Défenseur des droits –
A l’occasion des 50 ans de la Loi Pleven, la Défenseure des droits demande à faire de la lutte contre les discriminations fondées sur l’origine une priorité politique et rappelle ses recommandations pour améliorer l’efficacité et la fonction dissuasive de la sanction judiciaire des discriminations
La loi Pleven du 1er juillet 1972, qui vient mettre la législation française en conformité avec la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, constitue la première grande loi contre le racisme et la première pierre du droit de la non-discrimination.
La loi a en effet créé les délits spécifiques d'injure et diffamation à caractère raciste ainsi que de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale qui relevaient de dispositions moins lisibles (la loi sur la presse modifiée par le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939). Surtout, les nouveaux articles 416-1 et 416-2 du code pénal (actuels art. 225-1 et 225-2 du code pénal) punissent le refus de fournir un bien ou un service « en raison de l'origine, ou de l'appartenance ou de la non-appartenance d'une personne à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » et interdisent donc explicitement pour la première fois les discriminations raciales.
La loi Pleven a ouvert la voie à la sanction en justice des discriminations. La législation sera complétée ensuite avec l’élargissement progressif des critères de discrimination, à commencer par celui du sexe, l’extension de l’interdiction des discriminations au domaine professionnel et plus globalement, la sanction civile de tels agissements au-delà de la seule répression pénale.
Mais c’est sous l’influence du droit européen et notamment de deux directives adoptées en 2000 pour garantir l’égalité de traitement que le droit français intègre des évolutions majeures dans un souci d’effectivité du droit de la non-discrimination : élargissement des formes de discriminations interdites (discriminations directe et indirecte, harcèlement fondé sur un critère de discrimination), aménagement de la charge de la preuve au profit des victimes devant les juridictions civiles, protection des salariés en cas de rétorsion après avoir dénoncé une situation de discrimination… C’est à partir de cette période que la question des discriminations intègre l’agenda public, la recherche et les politiques publiques.
La création de la HALDE puis du Défenseur des droits comme autorité indépendante de lutte contre les discriminations a permis de renforcer l’accès aux droits et d’assurer un accompagnement des victimes. De même, le lancement en février 2021 de la plateforme antidiscriminations.fr par la Défenseure des droits, constitue un nouveau progrès.
Néanmoins, malgré la prévalence des discriminations et l’enjeu symbolique fort de leur répression, le Défenseur des droits fait le constat d’un taux de non-recours très élevé et d’un contentieux difficile, rare et peu dissuasif. Pour exemple, si la part des personnes victimes de discriminations dans l’emploi décidant d’entreprendre des démarches à la suite des faits a augmenté de 19% entre 2012 et 2020, le recours à la justice reste ainsi une démarche lourde et douloureuse pour les victimes.
L’anniversaire de la loi Pleven qui fête ses 50 ans au 1er juillet 2022 est donc l’occasion pour la Défenseure des droits de rappeler ses recommandations afin d’améliorer l’efficacité et la fonction dissuasive de la condamnation judiciaire :
Au pénal, les victimes voient généralement leurs plaintes classées sans suite et ce malgré l’existence des pôles anti-discrimination mis en place dans les parquets depuis 2007 et au bilan très mitigé. Les exigences, particulièrement lourdes de la preuve de l’intention discriminatoire en matière pénale, rendent le contentieux pénal peu opérationnel. La Défenseure des droits recommande donc d’amender les articles 225-1 et suivants du code pénal en prévoyant un mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve, de nature à permettre le recours à certaines présomptions de fait.
La jurisprudence civile et administrative a certes connu des avancées notables mais une décision de justice qui reconnaît une pratique discriminatoire constitue une condamnation isolée, avec un impact financier minimal pour l’entreprise concernée, et sans conséquence sur les pratiques et relations sociales au sein de l’organisation, et ce malgré parfois l’ampleur des phénomènes démontrés. C’est pourquoi la Défenseure des droits demande qu’on permette au juge civil d’ordonner des diagnostics et de prononcer des mesures correctrices sous astreinte à l’encontre des organisations condamnées dans des contentieux individuels pour des faits de discriminations structurelles. Elle recommande également de prévoir la possibilité d’accorder des dommages civils punitifs en cas de discrimination directe ou de harcèlement discriminatoire.
Si le droit est parfois efficace, ses victoires restent individuelles et symboliques et n’ont pas d’effet transformateur, ni d’impact collectif. A cet égard, l’introduction dans le droit procédural d’un dispositif de recours collectif constitue une belle avancée juridique, en portant une approche collective du recours qui embrasse l’ensemble des victimes se trouvant dans une situation similaire. Cependant, comme le Défenseur des droits l’a souligné dans ses différents avis, un grand nombre d’obstacles et d’incertitudes complique le déploiement du recours collectif. La procédure mériterait d’être améliorée. La Défenseure des droits regrette notamment que l’action de groupe soit réduite à une simple action en cessation de manquement et ne permette pas une réparation intégrale des préjudices des victimes.
Enfin, 50 ans après l’adoption de la loi Pleven contre le racisme et alors que les recherches n’en finissent pas de mettre à jour l’ampleur des discriminations auxquelles sont confrontées les personnes dont les caractéristiques peuvent signaler une origine étrangère ou ultramarine (nom, couleur de peau, religion…), la lutte contre le racisme et les discriminations fondées sur l’origine n’a pas encore trouvé pleinement sa place dans les politiques publiques. La Défenseure des droits demande la mise en place d’une véritable stratégie, qui ne se limite pas à des tests ponctuels dans le champ de l’embauche. Il est urgent de faire de la lutte contre les discriminations fondées sur l’origine une priorité politique qui mobilise l’ensemble des organisations, des administrations et des acteurs de la société civile à l’instar de ce qui a été entrepris ces dernières années en faveur de l’égalité femmes/hommes et des LGBTphobies.
06/07/2022 Lien vers l'article originel