Les enfants de l’exil sont d’abord des enfants : plusieurs défenseurs européens alertent sur la situation des enfants dans la migration

– Délégué général aux droits de l’enfant de Belgique –

Au moins 5 enfants ont perdu la vie dans le drame qui s’est déroulé à quelques miles nautiques de Calais.

Un bateau pneumatique, transportant plusieurs dizaines de personnes jetées sur les routes de l’exil, a sombré d’un coup plongeant l’ensemble de ses occupants dans les eaux glaciales de la Manche.

Nos Institutions n’ont de cesse, depuis de longues années, de dénoncer les manquements graves aux droits essentiels des enfants migrants, qu’ils soient isolés ou en famille. Nous déplorons que leurs droits les plus élémentaires soient quotidiennement bafoués. Il en va ainsi du droit à la vie, du droit à ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants, d’être protégé de toute forme de violence,  du droit à demander l’asile, à bénéficier de conditions de vie dignes, du droit à l’accès aux soins, à l’hébergement et de voir primer, en toutes circonstances, leur intérêt supérieur dans chaque décision qui est prise à leur égard. Autant de droits qui doivent être garantis aux mineurs d’âge, partout, tout le temps, quelles que soient leur nationalité ou leurs situations administratives.

Pourtant, dans chacun des pays où nous sommes chargés de veiller à la bonne application de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, nous sommes confrontés à de graves manquements qui, sans avoir la force dramatique de la tragédie qui vient de se dérouler, provoquent des dégâts considérables sur la vie de nombreux enfants innocents déjà fragiles parmi les fragiles.

Qu’ils soient isolés ou en famille, qu’ils viennent de territoires en guerre, ou de pays parfois plus proches des nôtres, poussés par la misère ou par les premiers effets sensibles de la crise climatique, la situation des enfants migrants n’est nulle part enviable et s’assombrit au rythme des mesures sécuritaires qui se généralisent à leur encontre, dans une forme d’équanimité qui nous inquiète.

Des contours de la Méditerranée aux plages de Calais ou de Douvre, et partout dans nos villes et nos campagnes, c’est la même désolation : des enfants perdus, sans assistance, détenus dans des camps de rétention ou dormant à la rue sans aucune assistance. Ou d’autres encore qui attendent durant des mois, des années souvent, une régularisation sans laquelle aucun projet de vie n’est envisageable.

Les nombreuses mesures répressives ou sécuritaires dont ils sont la cible, dont celles qui tendent à contraindre leur mobilité, constituent des atteintes inqualifiables aux droits reconnus à tous les enfants du monde. A ce sujet, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, rappelait récemment que « les États membres (devaient) prendre position contre les refoulements aux frontières et s’opposer fermement aux tentatives de légaliser cette pratique illégale ». Les entraves régulières à l’aide humanitaire proposée par les associations sur le terrain épuisent les enfants exilés, renforcent leur déracinement, font échec à toute perspective d’intégration et alimentent le cercle de misère dans lequel ils se trouvent. Ne voyant aucune autre perspective que la fuite, ces enfants perdus s’exposent à tous les dangers.

Le drame récent, et la mort dans d’horribles conditions de plusieurs enfants que nous pleurons, doivent nous remettre en mémoire qu’il est illusoire de construire des murs ou d’ériger des barricades. Les problèmes du monde finissent toujours par nous rattraper si nous refusons de les considérer dans toute leur gravité. Cette tragédie, parmi tant d’autres qui auraient pu être évitées, nous oblige à nous questionner sur notre humanité mais aussi sur la politique migratoire de l’Union européenne : tant que l’Europe et ses États membres chercheront à se dégager de leur responsabilité,  ces drames sont appelés à se répéter, se multiplier. Tant que nous refuserons de voir que le phénomène migratoire est inéluctable, irréversible, dans la marche de l’histoire, et que nous continuerons à adopter des mesures protectionnistes inefficaces et dangereuses, au lieu d’aménager et d’anticiper l’accueil des exilés, quelles que soient les raisons de leur exil, des vies seront détruites et des enfants mourront.

Réunis autour du deuil de ces enfants martyrs de trop d’indifférence, les Défenseurs des enfants signataires appellent à un sursaut de responsabilité contre toute violation des droits de l’enfant. Ils dénoncent et refusent toute politique de refoulement préjudiciable à leur bien-être, recommandent de renforcer et d’anticiper la mise en place de structures d’accueil de qualité et en nombre suffisant pour les enfants et leurs familles. Et, par-dessus tout, réclament l’application formelle du principe de prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant en toutes circonstances, indépendamment de son statut administratif ou légal. L’intégrité physique, la sécurité, la vie des enfants de l’exil doivent primer sur toute considération extérieure, sur les clivages politiques et toute autre priorité. Nous avons pour mission de défendre les enfants, tous les enfants. Et nous rappelons avec force et détermination que les enfants de l’exil sont d’abord des enfants.

Bernard DE VOS, Délégué général aux droits de l’enfant (Belgique/FR)
Eric DELEMAR, Défenseur des enfants, adjoint de la Défenseure des droits (France)
Charel SCHMIT, Défenseur des droits de l’enfant (Luxembourg)
Caroline VRIJENS, Kinderrechtencommissaris (Belgique/VL)

2021-12-07T14:39:22+01:00
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