– Défenseur des droits (France) –
Le 27 août 2021, la Défenseure des droits, Claire Hédon, accompagnée de adjointe en charge de la déontologie de la sécurité, Pauline Caby, est intervenue lors de la table ronde du Beauvau de la sécurité consacrée au contrôle interne des forces de l’ordre.
Voici la retranscription de l’intervention.
L’intégralité de cette table ronde est également consultable en vidéo sur les comptes Twitter et Facebook du Ministère de l’Intérieur.
« LES CONDITIONS DE LA TRANSPARENCE DE L’ACTIVITÉ L’IGPN ET DE L’IGGN VIS-À-VIS DE LA POPULATION »
Monsieur le ministre de l’Intérieur,
Madame la ministre déléguée en charge de la Citoyenneté,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs,
En ouvrant le Beauvau de la sécurité, le 1er février dernier, le Premier ministre a commencé par rappeler que les forces de l’ordre exercent un métier qui « n’est en rien un métier comme les autres ».
Effectivement, les métiers de policier et de gendarme sont essentiels et leur charge est immense. Comme l’indique le code de la sécurité intérieure, il leur revient d’assurer « la défense des institutions et des intérêts nationaux, le respect des lois, le maintien de la paix et de l’ordre publics, la protection des personnes et des biens ».
Ces missions sont exigeantes et peuvent être épuisantes, j’en suis consciente. D’autant plus dans un contexte de crise et de tensions.
Vous avez souhaité m’entendre dans le cadre de cette table-ronde consacrée au contrôle interne des forces de sécurité.
En tant qu’autorité chargée du contrôle externe – dont ont également la charge d’autres autorités administratives indépendantes et l’autorité judiciaire – je partage avec ce contrôle interne une mission commune : le contrôle du respect de la déontologie par les forces de sécurité.
Avant d’en venir au sujet retenu pour cette table-ronde, je voudrais évoquer une composante du contrôle interne qui en est absente : le contrôle par les pairs.
Bien qu’il soit présenté en dernier dans le code de déontologie, ce contrôle est selon moi le plus important, car il est permanent. Il est souvent invisible, car lorsqu’il fonctionne, les griefs ne sont pas portés à la connaissance d’un autre organe de contrôle – notamment à la mienne.
Mais il est bien réel. Au cours des 3 dernières années, entre 3 et 5% des saisines traitées par le pôle déontologie ont été closes car l’administration avait pris des mesures pour prévenir le renouvellement du manquement constaté.
On peut l’imaginer, il n’est pas le plus simple à exercer, comme dans beaucoup de métiers. Mais il est indispensable, d’autant que les autres contrôles sont plus difficiles à mettre en œuvre lorsqu’il fait défaut. Nous le constatons dans le cadre de nos instructions, lorsqu’aucun collègue n’accepte d’identifier un auteur de gestes contestables, lorsque celui qui dénonce est davantage sanctionné que les auteurs.
Je n’entends pas généraliser ces blocages, mais plusieurs affaires dont nous avons été saisis illustrent bien qu’ils existent – je pense notamment au refus de mettre en œuvre des consignes enjoignant à réaliser des évictions discriminatoires.
J’observe que nous n’avons jamais été saisis de griefs mettant explicitement en cause la qualité ou l’impartialité des enquêtes réalisées par l’IGPN ou l’IGGN. Si nous étions saisis, nous serions compétents pour contrôler ces enquêtes, sans pouvoir nous prononcer sur les actes validés par l’autorité judiciaire.
Dans l’exercice du contrôle externe, nous nous servons des enquêtes menées par les deux inspections :
- Lorsque nos conclusions rejoignent celles des inspections internes et que des sanctions ont été prononcées, nous en prenons acte ;
- Lorsque nous considérons que les enquêtes ne répondent pas aux griefs de notre réclamant, ou laissent subsister des zones d’ombres – par exemple lorsque les auteurs des violences n’ont pas pu être identifiés – nous diligentons des actes d’investigation complémentaires.
J’en viens maintenant au sujet sur lequel vous m’avez demandé d’axer mon intervention : les « conditions de la transparence de l’activité de l’IGPN et de l’IGGN vis-à-vis de la population ».
La transparence est effectivement une exigence à laquelle un corps de contrôle ne saurait déroger, qu’il soit externe et interne. Car elle est indispensable à ce qui fonde la légitimité d’un tel corps : sa capacité à être impartial, et à être perçu comme tel.
C’est d’ailleurs pour lutter contre le sentiment de partialité des corps de contrôle internes que le législateur de 2000 a décidé de créer la CNDS – dont le Défenseur des droits a hérité la mission.
La transparence est donc un aiguillon et un attribut de l’impartialité : elle contribue non seulement à l’exemplarité mais aussi à l’image d’exemplarité. Elle permet de lever les soupçons : une décision juste et impartiale n’a rien à craindre de son exposition au grand jour. Mais elle est, à elle seule, insuffisante :
- D’une part, elle doit être assortie d’autres garanties ;
- D’autre part, elle doit présenter certaines caractéristiques.
Pour développer ces deux points, je m’appuierai sur la manière dont le Défenseur des droits, par ses caractéristiques et son fonctionnement, s’efforce de satisfaire ces exigences.
- Les garanties d’impartialité
La transparence, je l’ai dit, nécessite, pour favoriser l’impartialité, d’être assortie d’autres garanties. Pour ce qui est du Défenseur des droits, ces garanties tiennent à sa composition, au cadre de ses interventions, à son fonctionnement.
- Les garanties liées à sa composition sont au nombre de 3 :
- Indépendance de la personne qui dirige, assurée par : le mode de nomination, la durée du mandat, l’absence d’instructions extérieures, l’immunité pénale, le non-cumul d’activités ;
- Collégialité lors de la prise de décision : les décisions les plus importantes, notamment les demandes de poursuites disciplinaires, et les recommandations générales, sont prises après consultation d’un collège composé de personnes extérieures (un préfet honoraire, ancien DGPN, un commissaire général de police honoraire, un universitaire, des magistrats, une avocate et un parlementaire honoraire) ;
- Diversité du recrutement des agents traitant les réclamations.
- Ses interventions, par le cadre qui les entoure, présentent également plusieurs garanties qui concourent à leur impartialité :
- Possibilité pour toute personne de saisir le Défenseur des droits, sans filtre ;
- Obligation de motiver ses décisions s’il ne donne pas suite à une réclamation ;
- Obligation d’informer l’autorité judiciaire, et de demander son accord, lorsque plusieurs enquêtes coexistent.
- Enfin, de son fonctionnement découlent également un certain nombre de garanties :
- Le traitement de toutes les réclamations qui entrent dans son champ de compétences ;
- Le traitement des réclamations dans des délais qui soient, autant que possible, raisonnables – des délais trop longs pourraient laisser penser qu’il y aurait une volonté d’étouffer l’affaire.
Au-delà de ces principes et de ces garanties dont elle doit être assortie, la transparence doit aussi présenter plusieurs caractéristiques. Sans ces caractéristiques, la transparence n’empêchera pas que naisse un sentiment de partialité.
C’est ce dont je voudrais vous parler maintenant.
- Caractéristiques d’une transparence au service de l’impartialité
La transparence, telle que je la conçois, est plus complexe qu’elle n’y paraît. Elle a ses vertus et ses exigences.
Elle a les vertus de rendre publics une action, des modalités de fonctionnement, des constats. Mais elle a aussi ses exigences ; elle suppose en particulier :
- De s’engager à proposer un contenu complet et objectif ;
- De se prêter à la discussion et à la critique, de s’exposer à la remise en cause.
- Transparence complète et objective
La transparence ne contribue nullement à l’impartialité si elle est partielle, si elle ne s’applique qu’à une sélection d’informations, à des données peu claires ou incomplètes.
De même, rendre transparentes des déclarations dénuées de toute objectivité n’a aucune des vertus que j’ai citées.
La transparence qui nous est demandée, nous tentons donc de nous y conformer de manière complète et objective :
- Dans les décisions que nous publions : nous y décrivons précisément les faits et griefs dont nous somme saisis, les actes d’enquête réalisés, les éléments réunis, les comportements de chacun, les conditions matérielles des intervenants.
Nous y expliquons les motifs de la décision, en nous interdisant de porter tout jugement de valeur sur le réclamant ou sur le mis en cause, sans lien avec les faits.
- Dans notre rapport annuel : comme cela nous est demandé, nous y présentons un maximum d’informations sur notre activité, en étayant systématiquement nos conclusions d’analyses ou de constats précis.
Sur ce point, je voudrais soulever quelques remarques concernant les rapports d’activité de l’IGPN et de l’IGGN. La publication de ces rapports constitue une évolution encourageante, que je salue.
Néanmoins, il me semble qu’un certain nombre de données qui n’y figurent pas gagneraient à être publiées. Voici quelques-unes des questions auxquelles il serait bienvenu, je pense, de répondre :
- Quels sont concrètement les comportements sanctionnés pour un manque d’exemplarité ?
- Quels sont les critères de répartition entre les inspections et les directions locales ou centrales en cas de saisine d’un particulier ?
- Où se trouve le curseur entre déclenchement d’une enquête administrative et déclenchement d’une enquête judiciaire, notamment au regard de l’article 40 du code de procédure pénale ?
- Combien de demandes de poursuites disciplinaires ? Avec quelles suites ?
- Quelle articulation entre l’autorité qui mène les investigations, l’autorité qui décide d’engager des poursuites disciplinaires et l’autorité qui décide de la sanction ?
- Sur les contrôles d’identité : combien sont effectués chaque année ? Avec quels résultats ? D’après une réponse à une question parlementaire, une étude aurait été menée sur le sujet dans l’Hérault en 2012, qu’en est-il ?
La publication de ces informations contribuerait à rendre plus objective et complète la transparence de l’action des corps de contrôle interne. Et favoriserait, j’en suis convaincue, une plus grande confiance dans leur capacité à faire preuve d’impartialité.
- Cette transparence complète et objective est aussi porteuse de dialogue, de critiques et de remise en question
Pour ne pas être perçue comme un outil de communication ou de légitimation, la transparence doit aller de pair avec l’acceptation de la discussion, de la critique, de la remise en question.
Pour le Défenseur des droits, cela implique d’échanger avec le public concerné par nos missions : membres des corps contrôlés, public, acteurs du contrôle notamment. Et ce afin de recueillir leurs observations sur les informations que nous diffusons, sur nos actions, sur nos modalités d’intervention, sur nos constats et recommandations.
Nous appliquons aussi cette transparence dans le cadre des formations que nous délivrons, depuis 2016, devant toutes les promotions de gardiens de la paix, officiers, commissaires et formateurs. Il en ressort des échanges riches et constructifs.
C’est par le dialogue et la critique que nous pouvons ensuite adapter et améliorer notre fonctionnement et notre communication.
Pour conclure, je voudrais insister sur un point.
Je suis convaincue que la principale qualité qu’un corps de contrôle doit posséder est l’impartialité. Car c’est d’elle que dépend la confiance que la population lui accorde.
Or, la confiance de la population dans ces corps de contrôle est elle-même la condition de la confiance de la population dans les corps contrôlés.
J’espère que ma présentation aura permis d’alimenter vos réflexions sur la transparence, ses caractéristiques, et la façon dont elle peut être mise au service de l’impartialité.
Je vous remercie pour votre écoute.