Droit à un traitement psychiatrique obligatoire pour les personnes ayant des troubles mentaux
Pays : KOSOVO
Institution : Institution du Médiateur de la République du Kosovo
Domaine d’intervention : Accès à la santé
Explication du problème
Le but de ce rapport est d’identifier certaines des faiblesses des actions institutionnelles dans le traitement de cette affaire et d’attirer l’attention des institutions responsables sur les mesures à prendre afin de mettre en œuvre le droit au traitement psychiatrique obligatoire pour les personnes atteintes de troubles mentaux.
Ce rapport est basé sur la plainte reçue auprès de l’Institution du Médiateur (OI) par Mme Dula, qui a déposé une plainte contre l’Institut de psychiatrie légale de Prishtina, concernant les demandes de non-application de la décision du Tribunal de Gjakova (Basic Court), relative au traitement psychiatrique obligatoire en détention.
Les faits, preuves et informations disponibles auprès d’OI peuvent être résumés comme suit :
Le 29 octobre 2015, conformément à l’article 15.1 de la loi sur le Médiateur n° 03/L-195, le Médiateur a reçu la plainte de Mme Dula, contre l’Institut de psychiatrie légale de Prishtina, concernant la non-application de la décision du Tribunal de première instance de Gjakova (P.n°709/14), relative au traitement psychiatrique obligatoire de son fils M. B. D.
La plaignante affirme que son fils, M. B.D., (né le 23 septembre 1968), souffre depuis l’âge de 15 ans de problèmes de santé liés à des troubles mentaux et que, depuis lors, il a été diagnostiqué comme souffrant d’une maladie mentale.
La plaignante affirme qu’en raison des troubles mentaux et des actes de violence de B.D., son mari est décédé il y a dix ans, tandis qu’elle et d’autres membres de sa famille ont été constamment agressés physiquement par M. B.D.
Le 10 novembre 2013, peu avant minuit, M. B.D., a d’abord tenté d’ouvrir violemment la porte de la maison d’un des voisins, où vit la plaignante, donc le voisin a entendu le bruit, et en ouvrant la porte, il a été agressé physiquement par M. B.D.
Le 11 novembre 2013, après l’incident susmentionné, M. B.D. a quitté sa maison et, le soir de cette nuit-là, sa famille a été informée qu’il se trouvait dans le village de Xërxë et qu’il entravait la libre circulation des véhicules. Les membres de la famille de M. B.D. ont immédiatement informé le poste de police de Gjakova qui, en raison de son incompétence territoriale et de sa zone de responsabilité, avait demandé au poste de police de la municipalité de Rahovec d’agir. Le conducteur du véhicule de police, alors qu’il conduisait le véhicule et qu’il essayait de se rendre sur place le plus rapidement possible, a heurté M. B.D., avec sa voiture, lui causant de graves blessures et celui-ci a été immédiatement transporté à l’hôpital régional « Isa Grezda » de Gjakova. D’après les documents médicaux, on peut voir que M. B.D. a été hospitalisé le 11 novembre 2013 et qu’il est resté à l’hôpital jusqu’au 27 décembre 2013.
Le 18 février 2015, concernant l’infraction pénale de voies de fait (voir paragraphe 4), le tribunal de première instance de Gjakova a pris une décision (P.no.709/14) et a imposé à M. B.D., la mesure de traitement psychiatrique obligatoire et de détention à l’Institut de psychiatrie légale de Prishtina, pour une durée indéterminée, obligeant l’Institut à informer le tribunal par écrit au moins une fois tous les deux mois.
Selon les allégations des membres de la famille, l’exécution de la décision P.no.709/14, contre M. B.D., relative à la mesure de traitement psychiatrique obligatoire dans l’Institut de psychiatrie légale de Prishtina a commencé le 20 mars 2015, et ce traitement a été administré jusqu’au 26 octobre 2015.
Le 25 février 2016, les membres de la famille du plaignant ont informé que M. B.D. ne suivait pas sa thérapie régulièrement et que, selon eux, il y avait un risque potentiel que celui-ci exprime une violence psychique contre le plaignant (qui a vécu seul dans la maison avec M. B.D.), ainsi que contre d’autres voisins ou personnes dans la rue ou ailleurs.
Intervention
Le 9 novembre 2015, le représentant de l’OI a demandé des données statistiques au Conseil judiciaire du Kosovo (KJC), concernant le nombre de personnes contre lesquelles des décisions ont été prises pour un traitement psychiatrique obligatoire de 2010 à 2015, au niveau de tous les tribunaux de la République du Kosovo, ainsi que le nombre de personnes (souffrant de maladies mentales) contre lesquelles la procédure a été menée pour prendre la capacité d’agir pour la période 2010-2015.
Le 10 novembre 2015, OI a été informé par le KJC que cette information n’est disponible que sous la rubrique « Mesures de traitement obligatoire » pour tous les types de mesures prises par le tribunal, alors qu’en ce qui concerne le nombre de personnes auxquelles la capacité d’agir a été prise, cette information n’est disponible que dans le cas présent et le KJC n’a pas traité ces données.
Le 12 novembre 2015, les représentants de l’OI ont tenu une réunion avec les représentants de l’Institut spécial de Shtime (SISH) pour évaluer la situation du placement des personnes handicapées mentales dans cette institution, ainsi que le placement des personnes handicapées mentales – retard de développement mental dans l’Institut spécial de Shtime et dans les foyers communautaires.
Le 19 novembre 2015, le représentant de l’OI a rencontré l’administrateur du tribunal de base de Gjakova, auquel il a parlé de l’affaire P.no.709/14. Après avoir reçu les informations nécessaires du juge de l’affaire, il a souligné que la décision du tribunal (P.no.709/14) est en vigueur et que l’autorité à laquelle la décision a été adressée est légalement tenue de l’appliquer.
Le 24 novembre 2015, les représentants de l’OI ont rencontré le directeur de l’Institut de psychiatrie légale à Prishtinë, avec le neuropsychiatre, le psychologue et le travailleur social, à qui ils ont parlé de la question de M. B.D. Ils les ont informés que M. B.D., a été accepté à l’Institut de traitement psychiatrique obligatoire, le 5 mars 2015, et a été libéré de cet Institut le 27 octobre 2015. Ils ont souligné que c’est le seul cas qui est resté aussi longtemps dans cette institution (au total 237 jours). Selon eux, le traitement doit être poursuivi au Centre de santé mentale (CMH) de Gjakova, et le responsable du Centre de travail social (CSW) de Gjakova doit travailler avec la famille de M. B.D., et le cas doit être géré dans le triangle Famille CMH-CSW.
Le 25 novembre 2015, les représentants d’OI ont rencontré le directeur du CSW à Gjakova, à qui ils ont parlé de la question de M. B.D. Il a expliqué qu’environ 370 (trois cent soixante-dix) personnes souffrant de troubles mentaux sont traitées dans ce centre. Selon lui, sur le nombre total de patients, seuls cinq d’entre eux sont agressifs et violents envers l’environnement dans lequel ils vivent. Il a expliqué que les personnes atteintes de troubles mentaux entraînant des infractions pénales sont détenues à l’Institut de psychiatrie légale jusqu’à la remise de peine, puis leur traitement se poursuit au CMH, dans un format de clinique ambulatoire, ainsi que dans des foyers communautaires d’intégration. Il a déclaré qu’il manquait à CMH la base de données informatique sur les services offerts à ces patients, ces centres ne disposent donc pas des informations requises concernant le traitement thérapeutique de ces patients et le moment de l’administration de la thérapie (selon les protocoles médicaux, ces patients doivent suivre une thérapie parentale tous les 21 jours). Il a informé que, en ce qui concerne le traitement des M. B.D., le 10 juillet 2015, le tribunal de première instance de Gjakova a modifié la mesure de traitement de Traitement psychiatrique obligatoire en détention, en le remplaçant par la mesure Traitement psychiatrique obligatoire en liberté.
Résultats et suivi
Sur la base de toutes les preuves présentées et des faits recueillis, ainsi que sur la base des lois pertinentes, qui déterminent le droit à la vie privée et familiale, ainsi que le droit à la santé, le Médiateur estime que la plainte du plaignant est raisonnable et légale. Dans le cas concret, le Médiateur estime qu’il y a eu violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales, car les autorités responsables, qui selon la législation en vigueur en matière de santé sont dotées des pouvoirs et sont tenues de prendre des mesures positives en rapport avec l’affaire, ont manqué à leurs obligations et responsabilités envers le citoyen.
Le Médiateur estime que, sur la base des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, les autorités compétentes n’ont pas entrepris d’actions concrètes et n’ont pas mis en œuvre les obligations positives d’entreprendre des actions appropriées en ce qui concerne le traitement psychiatrique obligatoire jusqu’à ce que la capacité d’agir soit retirée à la personne atteinte de troubles mentaux, en empêchant l’exercice de la violence domestique contre des tiers. Le Médiateur estime qu’à la suite d’un traitement psychiatrique inapproprié, la personne souffrant de troubles mentaux a causé des violences dans sa famille et à d’autres personnes, mettant gravement en danger leur vie et leurs biens. Par conséquent, dans les circonstances de cette affaire, il est constaté que M. B.D. a exercé des violences physiques contre les membres de sa famille et les a mis en danger, et dans certains cas, des voisins et d’autres citoyens ont également été exposés à ces violences (voir paragraphes 3, 4 et 5). Le Médiateur rappelle qu’en vertu de l’article 53 de la Constitution de la République du Kosovo, les droits de l’homme et les libertés fondamentales garantis par cette Constitution doivent être interprétés conformément aux décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, et il ressort des décisions de cette cour que les États ont des obligations positives envers leurs citoyens (voir paragraphes 34, 35 et 36).
Le Médiateur estime que M. B.D. aurait dû suivre le traitement psychiatrique nécessaire dans le cadre des soins de santé pertinents ou pour prendre sa capacité d’agir et lui attribuer une tutelle. Les circonstances de l’affaire montrent clairement que le fait d’avoir laissé M. B.D. sans tutelle et sa libre circulation dans la rue ont entraîné l’obstruction de la circulation routière et, plus tard, l’accident dans lequel M. B.D. a été grièvement blessé par la voiture de police (voir paragraphe 5). Le Médiateur estime que la négligence de la famille et l’absence de coopération des autorités responsables ont contribué à cette situation, qui n’a pas permis de fournir des soins appropriés à M. B.D., ainsi que de lui prodiguer des soins de santé adéquats.
Le Médiateur estime que les organes juridiques compétents n’ont pas suffisamment fait en prendre des mesures pour des obligations positives, à savoir protéger l’inaliénabilité de la santé humaine, en particulier dans les cas où elle est mise en danger par des actions dangereuses de personnes atteintes de troubles mentaux, lorsque celles-ci ne reçoivent pas un traitement nécessaire et lorsqu’elles ne sont pas limitées dans leurs mouvements. De tels cas sont malheureusement devenus un phénomène inquiétant dans la majorité des villes de la République du Kosovo, de sorte que la libre circulation dans la rue des personnes atteintes de troubles mentaux et des citoyens confrontés à leurs actes de violence devient une préoccupation grave et une menace pour leur vie et leurs biens.
Le Médiateur estime qu’à cet égard, les autorités responsables n’ont pas mené les recherches nécessaires sur le terrain et à ce jour ; les autorités sanitaires ne disposent pas d’un nombre précis et des statistiques nécessaires pour cette catégorie de personnes. En outre, les autorités responsables n’ont formulé à ce jour aucune recommandation sur les mesures à prendre pour que ces personnes soient retirées des lieux publics et placées dans des lieux spécifiques, dans lesquels, en fonction de leurs besoins de santé, elles recevraient le traitement médical nécessaire.
Le Médiateur estime qu’il existe de nombreux cas où cette catégorie de personnes a causé des violences physiques avec des blessures corporelles graves et avec des décès (voir paragraphe 13), ainsi que des dommages matériels. Par conséquent, les autorités compétentes sont légalement tenues de prendre les mesures de prévention nécessaires afin que ces personnes reçoivent les traitements psychiatriques requis, et les auteurs de troubles mentaux, ou les personnes qui sont traitées comme tels, sont traités avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, conformément aux normes internationales applicables aux personnes atteintes de troubles mentaux, dans toute la mesure du possible, avec seulement les modifications et exceptions limitées qui sont nécessaires dans les circonstances. Le Médiateur estime que l’entrée en vigueur de la loi sur la santé mentale n° 05/L-025, affectera considérablement la réglementation de cette situation, cependant, la rédaction d’actes sous-légaux et la mise en place d’un conseil des professionnels de la santé mentale et la fonctionnalisation d’équipes multidisciplinaires devraient être faites le plus rapidement possible et sans délai.
Recommandations
Sur la base de ces constatations, et conformément à l’article 135, paragraphe 1, du traité CE, la Commission a décidé de ne pas appliquer le principe de l’égalité de traitement.
Le Médiateur recommande donc :
- Au ministère de la santé, conformément aux pouvoirs et aux autorisations légales et en coopération avec toutes les autres autorités responsables, de prendre des mesures pour la création d’une base de données permettant de suivre le traitement médical de ces personnes (calendrier de la thérapie parentérale – stockage), qui pourrait être accessible à tous les établissements de santé mentale de la République du Kosovo, à tous les niveaux (primaire, secondaire et tertiaire), en tenant compte du respect et des dispositions de la loi sur la santé mentale.
- Aux institutions de santé mentale, conformément aux pouvoirs et aux autorisations légales et en coopération avec les autres autorités responsables, de prendre les mesures nécessaires sur le terrain pour que les personnes atteintes de troubles mentaux prédisposées à causer des violences physiques et des dommages matériels soient retirées du public, et doivent être traités dans des établissements de santé mentale dotés de lits, jusqu’à ce qu’ils deviennent sans danger pour l’environnement et la société.
- Au ministère de la santé, conformément aux pouvoirs et aux autorisations légales, de prendre toutes les mesures nécessaires à la fonctionnalisation des équipes pluridisciplinaires afin de protéger la santé mentale de ces personnes, en essayant au maximum d’intégrer ces personnes et les resocialiser dans la famille et la société, en tant que personnes inoffensives, sur le contraire (lorsque le traitement de réhabilitation n’a pas réussi ou que la maladie mentale est incurable), il faut tenir compte de la possibilité de déposer une demande de retrait la capacité d’agir et de les placer dans les institutions compétentes conformément la législation en vigueur.