– Commissariat aux langues officielles (Canada) –

Mesdames, messieurs, bonjour.

C’est avec plaisir que je prends la parole devant vous cet après-midi.

Je voudrais commencer en soulignant que les terres sur lesquelles nous sommes réunis font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple anishinabé algonquin, un peuple autochtone de la vallée de l’Outaouais. Pendant des milliers d’années, les Algonquins ont habité, chassé, commercé et voyagé ici. Nous rendons hommage aux ancêtres des Premières Nations de ces lieux et nous réaffirmons nos relations les uns avec les autres.

Linguistes, enseignants, traducteurs ou chercheurs, nous sommes tous des langagiers et je suis honoré d’être parmi vous. D’emblée, je crois que le thème du congrès de cette année, « Langues de valeur et valeur des langues », s’inscrit très bien dans l’actualité. En effet, quelle valeur accordons-nous aux langues officielles au Canada? Quelles sont les conséquences du non-respect des droits linguistiques? Quels sont les liens avec l’identité? Ce sont des sujets sur lesquels je dois me pencher quotidiennement dans ma qualité de commissaire aux langues officielles.

Longtemps, je me suis consacré aux domaines de l’enseignement, de la recherche et de l’administration universitaire, notamment à Winnipeg et à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, la plus importante université francophone au Canada à l’extérieur de la province du Québec.

J’ai passé ma vie à étudier et à défendre la dualité linguistique. Cette passion a forgé la personne que je suis aujourd’hui. L’une de mes principales responsabilités, en tant que commissaire aux langues officielles du Canada, est de contribuer à la promotion de la dualité linguistique dans la société canadienne. En tant qu’agent du Parlement, mon travail est de faire la promotion des langues officielles et de protéger les droits linguistiques des Canadiens. À titre de commissaire aux langues officielles, je veille surtout à ce que les communautés de langue officielle en situation minoritaire puissent s’épanouir, comme je veille à faire respecter la Loi sur les langues officielles, qui célèbre ses 50 ans cette année.

Les droits linguistiques suscitent l’intérêt d’un grand nombre de chercheurs, de centres de recherche et d’instituts, au Canada comme ailleurs. Cet intérêt s’explique par le très grand nombre de pays qui comptent des minorités linguistiques. Pensons, par exemple, aux membres de l’Association internationale des commissaires linguistiques; parmi mes collègues à l’échelle internationale, je compte des commissaires venant d’Irlande, du Pays de Galles, des Flandres, du Kosovo, de la Catalogne et du Pays basque, notamment.

De nombreuses recherches sur le sujet ont été menées au fil des ans. Toutefois, la recherche demeure insuffisante.

Je m’adresse aux jeunes chercheurs dans la salle qui considèrent aller au-delà du milieu universitaire. Vos travaux sont essentiels à l’avenir de notre régime linguistique. Le Canada, nos collectivités et notre fonction publique fédérale ont besoin de vos compétences et vos connaissances.

Nous devons veiller à ce que les décideurs développent une compréhension plus nuancée de la vitalité des minorités linguistiques, des conditions communautaires et des besoins des communautés, c’est-à-dire des choses que des chercheurs comme vous peuvent mesurer grâce à des analyses de données avancées qui relient la langue à la multiplicité des facteurs qui influencent la vitalité des communautés, notamment les jeunes, l’emploi, le revenu, la profession et l’éducation, entre autres.

Le phénomène de la mondialisation conduit plusieurs experts à s’interroger sur le pluralisme linguistique. Le besoin de préserver la diversité linguistique fait en ce moment l’objet d’une véritable prise de conscience sur le plan international. Cette prise de conscience s’inscrit dans la perspective du « développement durable », expression consacrée du droit et de l’économie de l’environnement qui s’applique tout autant, et avec la même pertinence, dans les sphères de la culture et des langues.

Somme toute, l’enjeu des droits linguistiques est, ni plus ni moins, le patrimoine culturel de l’humanité. Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général des Nations Unies, a affirmé : « La langue et la société sont en effet indissociables puisque la langue est le principal véhicule de la culture et de l’histoire, l’indispensable vecteur de notre vision du monde et de l’humanité. »

Ceux qui me connaissent savent que j’ai grandi dans une communauté francophone des Prairies canadiennes et que mon parcours professionnel m’a mené jusqu’aux confins du Canada, d’un océan à l’autre. Ainsi, je m’estime chanceux d’avoir vécu l’expérience canadienne dans plusieurs contextes, chacun doté de sa propre nature et de ses propres défis.

À mon avis, l’expérience canadienne en est une qui relève de la sociolinguistique.

Le Canada et le reste du monde ont bien changé au cours des 50 dernières années sur les plans démographique, social et technologique. Plus que jamais, on revendique le respect de la dualité linguistique canadienne et je suis d’avis que chacun a un rôle à jouer dans la concrétisation de cette idée.

L’essor de la société canadienne est tributaire des liens que nous tissons, en particulier dans la promotion d’un plus grand usage et d’une plus grande visibilité des langues officielles partout au Canada. En tant que collectivité, nous sommes en mesure d’exercer un rôle rassembleur. La dualité linguistique est au cœur même de la valeur canadienne d’inclusion, elle a contribué à faire de notre diversité et de nos différences des forces sur lesquelles nous devons bâtir.

Parlons maintenant de la Loi sur les langues officielles. De nombreux jalons ont été franchis depuis la création de celle-ci. Encore aujourd’hui, le français et l’anglais constituent une caractéristique fondamentale de l’identité canadienne. Les interventions du Commissariat aux langues officielles visent, d’abord et avant tout, à influencer et à amener les institutions fédérales à assumer pleinement leurs responsabilités dans la mise en œuvre de la Loi. J’aime dire que les langues officielles font partie de l’ADN des Canadiens, car la dualité linguistique fait partie de notre histoire depuis toujours.

En effet, le Canada est considéré, depuis longtemps, comme une figure de proue de la dualité linguistique sur la scène internationale. Pendant la période de l’entre-deux-guerres, le bilinguisme des diplomates canadiens et leur plaidoyer pour les droits des minorités leur ont valu le respect et l’admiration de leurs collègues de la Société des Nations. Comme l’a dit Ernest Lapointe, ministre de la Justice et diplomate canadien à l’époque : « Pour s’unir et édifier une grande nation, [il faut] faire savoir au monde qu’il s’y parle deux langues, le français et l’anglais, deux langues dont n’importe qui pourrait être fier. » Voilà une citation qui illustre bien notre thème aujourd’hui.

La fonction publique du Canada, qui n’est toutefois pas exempte de défis, est une source de fierté en matière de dualité. Elle fait même l’envie de nos partenaires internationaux. À cet effet, en 2017, le Canada s’est classé au premier rang selon un nouvel indice d’efficacité. Bref, notre fonction publique reflète la dualité linguistique de notre pays et elle offre des services aux Canadiens dans la langue officielle de leur choix. Les plaintes que je reçois démontrent qu’il nous reste du chemin à faire, mais, si on regarde sur une période de cinquante ans, le progrès est remarquable.

Cette caractéristique unique a évolué avec le temps et de nombreux progrès ont été réalisés au fil des ans. Les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont mieux appuyées et la dualité linguistique est valorisée par la grande majorité de la population canadienne.

Dans le sondage Nielsen de 2016, neuf Canadiens sur dix sont d’avis que le français et l’anglais devraient être enseignés dans toutes les écoles primaires du Canada et 79 % des répondants anglophones qui pouvaient parler français ont affirmé qu’ils avaient appris cette langue à l’école primaire ou secondaire. Selon les répondants, la faible accessibilité des cours de langue est le principal obstacle à l’apprentissage de la seconde langue officielle.

C’est dans cette optique que j’ai lancé l’hiver dernier mon étude Accéder aux possibilités, qui traite des difficultés liées à l’offre et à la demande d’enseignants en français langue seconde au Canada. Le gouvernement fédéral s’était engagé à un investissement de 62,6 millions de dollars afin de mettre en place des mesures pour attirer des enseignants et d’assurer leur rétention dans les écoles des minorités francophones ainsi que dans les programmes d’enseignement de français langue seconde. Récemment, il a annoncé son intention d’adopter une stratégie nationale qui inclura une table de consultation permanente sur le français langue seconde.

L’accès à l’éducation en français langue seconde, un enjeu auquel j’accorde une attention particulière, est parsemé d’embûches. Ainsi, il est de mon devoir de faire la lumière sur ces obstacles et de contribuer aux stratégies qui ont pris naissance à la suite de réflexions amorcées par un réseau de professionnels qui se sont penchés sur la question. En effet, mon équipe avait confié à l’organisme Canadian Parents for French la tâche de former un groupe d’experts chevronnés, chargés de collaborer avec nous pour mener à bien cette étude.

Le français de base est enseigné dans les écoles canadiennes depuis plus d’un siècle. Le tout premier programme d’immersion précède la Loi sur les langues officielles. Le St-Lambert Bilingual Study Group, lancé par de braves mères de famille en 1965, a servi de tremplin aux programmes d’immersion française dans les écoles. Le nombre d’inscriptions a ensuite décuplé dans les années 1970 et 1980.

Revenons maintenant à notre époque. Les recherches de Rodrigue Landry, professeur et chercheur émérite, tendent à démontrer que si un anglophone veut devenir bilingue, la meilleure chose à faire est de suivre un programme d’immersion.

En 2016-2017, presque 450 000 élèves étaient inscrits aux programmes d’immersion française au Canada, comparativement à 360 000 en 2011-2012. Il s’agit d’une augmentation de 25 % en seulement cinq ans, dans une population étudiante dont le total est resté sensiblement le même.

Après des décennies de croissance exponentielle, les commissions et les conseils scolaires francophones en milieu minoritaire peinent aussi à trouver un nombre suffisant d’enseignants qualifiés. À l’instar de Rodrigue Landry, je crois que la meilleure façon pour les francophones en milieu minoritaire de devenir parfaitement bilingue (c’est-à-dire, en retenant leur langue maternelle) est de fréquenter une école de langue française en milieu minoritaire.

Toujours selon Landry, la situation est encore plus encourageante pour les enfants issus d’une famille exogame dans une communauté de minorité francophone. En effet, lorsque l’enfant parle en français avec le parent francophone et en anglais avec le parent anglophone, tout en suivant ses cours et ses activités en français uniquement, son niveau de langue sera au même niveau qu’un enfant dont les deux parents sont francophones.

Ma tâche consiste à protéger les droits linguistiques de tous les Canadiens, l’accès égal à la justice dans les deux langues officielles est un autre enjeu sur lequel je me suis penché.

Comme vous le savez tous, le cadre législatif du Canada, de la province ou du territoire d’un Canadien lui garantit, en théorie, des droits linguistiques formels devant les tribunaux.

Hélas, il arrive trop souvent qu’un Canadien qui parle la langue officielle de la minorité se heurte, dans sa quête de justice, à des obstacles qui le contraignent à plaider sa cause ou à témoigner dans la langue de la majorité, en dépit de ses droits les plus élémentaires.

Je tiens à dire que les progrès en matière de droits linguistiques, que ce soit par le moyen d’interventions devant les tribunaux, d’enquêtes, de la publication d’études, de comparutions devant les comités parlementaires et de conférences, ont été et demeurent une priorité pour tous les commissaires aux langues officielles qui se sont succédé depuis bientôt 50 ans.

Les recours judiciaires entamés par les communautés de langue officielle en situation minoritaire jouent un rôle clé dans la définition et la défense des droits linguistiques. Notamment, au fil des années, les recours dans le domaine de l’éducation ont porté des fruits auprès des communautés.

Prenons par exemple le jugement de la Cour suprême du Canada en 1990 dans l’affaire Mahe. Le juge a reconnu aux parents appartenant à une minorité linguistique le droit de gérer leurs propres établissements d’enseignement, lorsque le nombre le justifie. Cette décision a marqué un jalon important dans le développement des communautés francophones en situation minoritaire, soit le droit de la minorité linguistique de disposer d’écoles et d’en assurer la gestion.

Nos langues officielles sont à la base de la diversité et de l’inclusion de notre société. Elles sont au centre de notre identité, comme en témoignent les langues de nos institutions, de notre démocratie, de nos écoles, de nos universités, de nos espaces publics et de notre communauté des affaires.

Bref, la Loi nous a aidés à accomplir beaucoup de choses au cours des cinquante dernières années : une représentation plus équitable des deux communautés linguistiques du Canada au sein de l’appareil fédéral; un meilleur accès aux services fédéraux dans les deux langues officielles; la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne ainsi que le soutien au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Toutefois, les défis fusent de toutes parts et la Loi telle que nous la connaissons ne suffit plus à la tâche.

C’est pourquoi une véritable modernisation de la Loi s’impose afin que les langues officielles puissent prospérer dans le Canada d’aujourd’hui et de demain. Nous avons besoin d’une Loi modernisée, qui appuie la vitalité des minorités linguistiques et qui encadre les institutions fédérales pour qu’elles se conforment à leurs obligations envers le public canadien. Cette Loi, qui fait partie de la mémoire collective des Canadiens, représente les véritables fondements du contrat social qui nous unit.

Alors que la Loi se tournera résolument vers l’avenir en 2019, il va sans dire que celui-ci appartient aux jeunes. La dernière refonte majeure de la Loi remonte à loin, bien avant Internet, les médias sociaux et la naissance de la jeunesse actuelle, les fameux « millénariaux » et la génération qui les suit. Plus que jamais, les jeunes revendiquent le respect de la dualité linguistique canadienne.

Ils imaginent un pays où il sera désormais normal de vivre en français et en anglais, sans perdre sa capacité dans l’une ou l’autre langue. Ils sont d’avis que le gouvernement fédéral a un rôle de chef de file à jouer dans la concrétisation de cette idée et ils ont une soif réelle de participer à la culture de l’autre.

Je constate qu’il y a une fragilité dans notre unité. Le manque de vigilance a entraîné une certaine complaisance et l’érosion des droits linguistiques en est une conséquence. À mon avis, moins nous en parlerons, plus nous irons vers l’effritement et je crois que le Canada doit travailler à sa propre édification. Les gestes récents de certains gouvernements sont alarmants. Cependant, la pire menace qui plane sur le régime linguistique canadien est l’indifférence. Quelle valeur accordons-nous aux langues officielles au Canada? Le thème de cette année arrive à point nommé.

La dualité linguistique n’est pas l’affaire des francophones seulement, ou juste des anglophones en situation minoritaire. C’est une richesse qui appartient à tous les Canadiens.

Les deux langues officielles, le français et l’anglais, sont au cœur de notre identité en tant que Canadiens. Elles sont au centre de notre histoire. Avec les langues autochtones, véritablement les «  premières langues » du Canada, les langues officielles constituent le fondement des valeurs de la diversité et de l’inclusion au sein de notre société. Les langues autochtones sont un élément important du paysage culturel du Canada. Dans un esprit de réconciliation et conformément aux valeurs fondamentales qui les unissent, tous les Canadiens peuvent appuyer les premières langues et les langues officielles du pays.

La dualité linguistique représente un puissant symbole d’ouverture, d’empathie et de respect. Cela dit, elle demeure un terreau fertile pour la recherche. Je passe le flambeau aux chercheurs de demain : je suis persuadé que votre soif de savoir et vos connaissances nous seront très profitables!

Je vous remercie de votre attention.