« Actuellement, la médiation en Tunisie est centralisée dans la capitale et dans quelques villes. Mon objectif est de l’étendre aux 24 gouvernorats du pays. » – Abdessatar Ben Moussa

Prix Nobel de la paix…

Abdessattar Ben Moussa, le Médiateur Administratif de la Tunisie depuis janvier 2017, a une feuille de route des plus impressionnantes. Lauréat du Prix Nobel de la paix en 2015 – partagé avec ses collègues du Quartet du dialogue national – pour sa contribution décisive à l’avènement d’une démocratie pluraliste en Tunisie, il a été bâtonnier de l’Ordre des avocats et président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme.

Lors de la remise de la prestigieuse distinction, Abdessatar Ben Moussa a insisté sur le message à réitérer en pareille occasion, soit « l’importance du dialogue comme moyen de résoudre les conflits. Les armes n’entraînent que la destruction ». Voilà un principe qui se transpose tout naturellement à son rôle de médiateur où il privilégie, à l’instar de ses homologues des autres pays, la communication entre les parties comme principale façon de régler les différends, les erreurs et les incompréhensions.

La porte ouverte

« Politique de la porte ouverte » : c’est l’expression qu’utilise le Médiateur quand il décrit l’absence de formalités d’accès aux services de l’institution. « Les gens me connaissent en raison, entre autres, du rôle que j’ai exercé à la Ligue des droits de l’homme. Donc, très souvent, ils veulent me rencontrer personnellement pour expliquer ce qui les amène chez nous ». Pourquoi pas? À part les contraintes d’un horaire chargé, M. Ben Moussa considère que cette proximité avec les citoyens fait effectivement partie de son travail. C’est donc dire que régulièrement, très tôt le matin, il reçoit des personnes dans son bureau, soucieux d’écouter leurs motifs d’insatisfaction et de saisir ce qui représente les principaux enjeux des utilisateurs des services publics.

Dans des cas particulièrement urgents, il lui arrive d’organiser une rencontre dans les locaux de l’institution ou encore dans les administrations, entre les plaignants et les autorités des services concernés pour accélérer le règlement des problèmes et offrir l’espace nécessaire à l’exercice de médiation. Pour lui, il est important d’amener les parties à se parler parce qu’une des lacunes des services publics de son pays est de recevoir les plaintes… sans y donner suite. « On ne nous répond pas, bien souvent. Ces réunions sont donc essentielles ».

À cet égard, il donne l’exemple d’un groupe d’étudiants universitaires exclus de leur faculté et qui ne pouvaient avoir accès à la décision qui avait donné lieu à leur renvoi. Les jeunes ont rencontré le Médiateur qui a immédiatement communiqué avec le ministre responsable. Celui-ci lui a alors rapidement transmis la décision en question. Une décision qui datait de deux ans! Pour le Médiateur, de telles pratiques, malheureusement trop courantes, nient tout simplement les droits fondamentaux des personnes, dont celui d’exercer leur recours devant le tribunal administratif.

D’autres retards? Oui, nombreux. Et même des cas qui restent sans suite. Il en va ainsi de l’exécution de jugements pour des dédommagements que doit verser l’administration à des citoyens. Selon les chiffres fournis par le ministère de la Justice lui-même, 40 % des jugements de cette nature ne seraient jamais exécutés.

Rencontrer les gens veut aussi dire que le Médiateur se rend parfois jusqu’à eux. Cela peut signifier qu’il rencontre, entre autres, un berger dans ses montagnes dont la femme est morte depuis peu et qui a deux enfants en bas âge. Faute de ressources, il peine à faire vivre sa famille. Comme l’homme aurait droit à une aide de dernier recours, mais qu’il lui est impossible d’entreprendre les démarches nécessaires, c’est l’ombudsman qui fait le pas vers le citoyen plutôt que le contraire. Et aux dernières nouvelles, ce dernier touche désormais ce à quoi il a droit.

Pour ne citer que quelques chiffres, mentionnons que le Médiateur Administratif reçoit jusqu’à 2 000 plaintes écrites annuellement et environ 10 000 demandes acheminées principalement par téléphone. Un service de réception des plaintes traite ces requêtes, soit pour prendre charge du dossier, soit pour orienter les personnes vers les services compétents.

Un manque de visibilité

Quel médiateur, protecteur, défenseur des droits de type ombudsman ne s’en plaint pas : l’institution, en Tunisie comme ailleurs, n’est pas assez connue de la population. C’est pourquoi Abdessatar Ben Moussa multiplie les rencontres avec les associations de la société civile et les représentants de l’administration publique. Il mise également sur une campagne d’information par l’intermédiaire des grands canaux, la presse traditionnelle et les médias sociaux. Au cœur de l’opération : insister sur l’importance de la médiation et l’atteinte de résultats auxquels souscrivent les parties pour en venir ensemble à des solutions équitables et durables.

« Un des problèmes en matière de notoriété, c’est que le pays compte maintenant plusieurs instances de médiations sectorielles, par exemple une organisation nationale contre la torture. Ce que les gens ne savent pas, c’est que l’existence de ce genre d’organisme ne nous empêche pas d’intervenir. »

Le fait d’être mieux connu passe également par un recours accru à des modes de gestion électronique pour notamment permettre au plaignant de se tenir informé de l’évolution de son dossier grâce au Web, au moyen de tout ordinateur ou appareil portable. Le Médiateur veut aussi se doter d’un service de presse et d’une équipe plus nombreuse d’enquêteurs.

Un objectif de premier plan demeure la décentralisation de ses services. Alors que la Tunisie compte 24 gouvernorats, ou départements, l’institution est implantée dans la capitale et dans 4 de ces régions administratives. Abdessatar Ben Moussa prévoit installer des antennes partout au pays. C’est là une expansion dont il s’attend à plaider l’importance auprès du président de la République, son seul interlocuteur au moment de rendre des comptes et de faire valoir la pertinence d’augmenter ses budgets de fonctionnement.

Le Médiateur Administratif de Tunisie

Depuis quand : Les Services du Médiateur Administratif ont été institués par la loi du 3 mai 1993.

Statut :

Institution indépendante, publique et à caractère administratif. Autonome financièrement et sur le plan de ses actions, elle ne reçoit d’instructions d’aucune autorité publique.

Mandat et action :

  • Examiner les plaintes de personnes physiques ou morales portant sur des questions administratives (abus, erreurs, manquements) et relevant des attributions des services publics selon la loi du 14 février 2002.
  • Assister et orienter les citoyens pour obtenir les meilleurs résultats de conciliation pour régler les conflits entre eux et l’Administration.
  • Recourir à la médiation pour assurer l’équilibre entre l’intérêt du citoyen et le bon fonctionnement des pouvoirs publics, tenant compte avec réalisme de l’environnement administratif et de ses exigences.
  • Proposer des modifications aux textes juridiques pour une meilleure prise en compte des besoins et des droits des citoyens.
  • Améliorer l’image que projette l’Administration dans la population par la protection et la sauvegarde des droits des citoyens.

Compétence :

L’ensemble des administrations publiques et des structures chargées de gérer un établissement public.

Hors compétence, entre autres : les litiges entre particuliers, les différends relatifs à la vie professionnelle entre les structures publiques et leur personnel, les litiges soumis à des tribunaux.

Pouvoirs :

Pour toute plainte fondée, il peut adresser ses recommandations aux services publics concernés. À défaut de réponse de leur part dans les délais prévus, il peut signaler les faits au président de la République avec ses constats et ses recommandations.

Objectifs :

Le renforcement de l’État de droit, la modernisation du service public, la rationalisation des procédures, la célérité des prestations, la simplification des communications entre le citoyen et l’Administration.

Valeurs :

Indépendance, impartialité, équité, justice.

Durée du mandat de la personne désignée au titre de Médiateur Administratif :

Cinq ans. Mandat renouvelable.

Personnel : 40 personnes réparties dans les équipes d’enquête, de secrétariat, de gestion et de traitement administratif des plaintes.